La menace fantôme

 

 


   L’extrême-droite, depuis plusieurs années, impose ses thématiques dans le débat public. Le philosophe américain Jason Stanley, dans son dernier livre Les ressorts du fascisme, analyse ce phénomène : « la rhétorique (d’extrême droite) gangrène la parole publique en cultivant la peur et la colère comme moyens de nourrir la division. (…) La panique devant l’immigration et la crainte de voir la culture dominante être remplacée par des ethnies ou des religions minoritaires honnies par les groupes majoritaires sont des éléments centraux de ce genre de politique. »

   La campagne des élections présidentielles démarre sur ces bases nauséabondes. Comme si le « grand remplacement » (des Européens « de souche » par des immigrés noirs ou arabes) était la menace ultime, celle qui risquait d’anéantir la civilisation judéo-chrétienne * . Le steak-frites détrôné par le couscous, la fin d’un monde. Zemmour donne le la, et la droite de l’orchestre suit, relayée sans fin par des médias avides de buzz mais avares d’analyses intelligentes (médias dont le plus grand nombre appartient maintenant aux milliardaires Bolloré, Arnault, Pinault, Bettencourt, Dassault, Drahi, Bouygues, Kretinsky et Niel, nouveaux influenceurs tout puissants qui s’intéressent plus à leur avenir ou à celui du tourisme spatial qu’à celui de la planète et qui ont juste intérêt à ce que rien ne change).

   Pourtant, les menaces vraiment sérieuses ne manquent pas, les enjeux de notre temps donnent le vertige puisqu’ils conditionnent maintenant notre survie. Face à l’urgence climatique par exemple, des décisions radicales doivent être prises, qui méritent quand même qu’on en débatte. Chacun reconnaît qu’une transition énergétique est nécessaire, mais personne n’a de recette miracle. Faut-il développer le nucléaire, commander de nouveaux EPR alors que nous sommes incapables de faire fonctionner les deux premiers qui ont été construits, alors qu’il n’existe toujours aucun moyen de retraiter ou de se débarrasser vraiment des déchets radioactifs produits en quantités astronomiques par cette industrie, alors que les accidents risquent de se multiplier en raison des évènements climatiques extrêmes (sans parler d’attaques terroristes potentielles) ? Faut-il plutôt miser sur les énergies renouvelables, malgré les problèmes que posent les champs d’éoliennes, en mer comme sur terre, les surfaces considérables que nécessite l’exploitation de l’énergie solaire et les possibilités limitées pour développer l’énergie hydraulique dans notre pays ? Tout cela mérite un vrai débat démocratique, sanctionné par un référendum, tant l’enjeu est considérable. Il serait absurde que des décisions aussi capitales pour l’avenir du pays – et indirectement de la planète – soient prises par un Président mégalomane ou par quelques technocrates influencés par les lobbies du secteur de l’énergie, dans le secret d’un ministère.

   D’autres décisions auront des effets majeurs sur ce que deviendra notre pays demain. Les questionnements peu débattus encore mais qui s’imposent à nous sont multiples :

- comment passer d’une agriculture intensive qui nous empoisonne à des modes de culture vertueux mais moins productifs ?

- comment réduire les inégalités de revenus devenues insupportables qui gangrènent la cohésion sociale ?

- comment faire évoluer notre système éducatif pour le rendre moins élitiste, moins reproducteur d’inégalités sociales ?

- comment faciliter l’insertion des jeunes dans la société ? Faut-il pour cela créer un revenu universel ?

- comment faire évoluer notre constitution pour rééquilibrer pouvoir exécutif et pouvoir législatif ?

- quelle proportion de démocratie participative serait-il intéressant d’introduire pour donner du pouvoir au peuple, et faire que les « conventions citoyennes » éventuelles ne se limitent pas à nouveau à un moment de faire-semblant démagogique ?

- comment faire pour que l’Europe ne soit pas une simple zone de libre-échange, pour sortir de traités qui imposent un néolibéralisme menant le monde à sa perte ?

- comment passer d’une société privilégiant la voiture individuelle – menant à une impasse écologique, que les moteurs soient thermiques ou électriques – à une autre misant sur le développement des transports en commun et des transports doux ?

- comment conjuguer respect des libertés individuelles et lutte contre les pandémies ? Faut-il abroger cette loi liberticide et discriminatoire créant un passe vaccinal totalement inutile (puisque le nouveau variant, de part sa faible létalité, n’a aucune chance de saturer les services de réanimation) ? Faut-il changer la philosophie de la gestion hospitalière ?

- comment donner à tous les Français, où qu’ils vivent, un accès égal au système de santé et plus généralement à des services publics de qualité ?

- comment donner aux jeunes de banlieue des raisons de croire en leur avenir, pour éviter que, par désespérance, certains se tournent vers une version obscurantiste de leur religion ?

La liste n’est pas exhaustive.

 

   Nous devons réfléchir à ces sujets essentiels et ne pas nous laisser voler le débat. Nous devons faire entendre d’autres voix que celles de la droite et de l’extrême-droite, en proposant des solutions alternatives au néolibéralisme – idéologie mortifère pour la planète que même la gauche dite de gouvernement ne remet pas en cause – et au fascisme.

   Ces solutions existent. Elles sont radicales, mais la situation dans laquelle nous sommes l’exige. Osons y croire et soutenir ceux qui les portent.

 

* Une version locale du « grand remplacement », existe, hélas. Ces derniers temps, certain.e.s (se revendiquant de gauche !) exprimaient publiquement leur crainte de voir la population locale submergée par les jeunes alternatifs s’installant à Bagnères ou dans les environs…  Comme quoi les réflexes de peur et de rejet de ce qui semble étranger se déclinent à tous les niveaux.

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