Qui va à la chasse…


    Qui va à la chasse... prend ta place !

   Dimanche 19 décembre. Avec les vacances scolaires qui commencent, Bagnères s’anime. Un marché de Noël bon enfant s’installe sur les Coustous, le Faune expose plusieurs artistes, de nombreux commerces sont ouverts, le temps est magnifique. Tout incite à flâner en ville et à se balader autour.

   Nous décidons de démarrer par la deuxième option, et garons donc notre voiture vers 9h à l’entrée de Salut, avec les Allées dramatiques en ligne de mire – quoi que, nous le constaterons bien vite, cette expression est fort mal choisie.

Tandis que nous laçons nos chaussures de marche, une longue file de 4x4 et de pickups rutilants descend la route venant du conservatoire botanique et  prend la direction de la Croix de Manse. Des chasseurs, visiblement, en route pour une battue. L’un des véhicules tourne et vient se garer juste à côté de nous. Deux hommes, et pas des moindres, en descendent. Ils portent cette tenue invraisemblable, illustration de l’évolution de la chasse. De toute éternité, pour traquer les animaux sans se faire voir, les hommes s’habillaient le plus discrètement possible. Maintenant, pour éviter de s’entre-tuer, ils portent des vêtements fluo, avec quand même quelques zébrures imitant par nostalgie les tenues camouflage d’antan (à moins que ce ne soit pour éviter d’être confondu avec un employé des Ponts-et-Chaussées). Les deux hommes fluo ouvrent leur portière coulissante latérale : d’un bric à brac de chasse d’où émergent deux magnums de ricard, ils tirent fusils de sniper et munitions, qu’ils déballent sous le regard des passants – et le nôtre – plutôt médusés… Un spectacle assez ébouriffant à l’entrée de Salut. La milice Wagner, commanditée par l’opposition municipale, qui prend la ville ? Une battue au Bordelais invasif qui démarre ? 

Nous arrêtons là nos questionnements et commençons aussitôt notre balade en faisant profil bas, au cas où un coup partirait par accident. De toute façon, inutile d’entamer la conversation, ces types ne sont visiblement pas là pour faire relation publique. Mais une personne bien intentionnée, ayant remarqué que nous portions un sac à dos, nous arrête presque aussitôt pour nous mettre en garde : « Ne montez pas au-dessus de Salut, une battue est annoncée sur tout le versant ». Une battue si proche de la ville, à deux pas des promenades les plus fréquentées de Bagnères, un dimanche matin qui plus est… Ça craint pour l’intégrité du promeneur ! Contraints et forcés, nous retournons sur le parking (les deux chasseurs en sont au réglage de leurs walkies-talkies) et décidons d’aller marcher vers le Camp de César. Nous en avons quand même gros sur le coeur. La nature appartient-elle dorénavant aux chasseurs ?

   À Pouzac, nous remettons nos chaussures de marche, replaçons nos sacs à dos et entamons la montée. A nous la forêt. C’est dimanche, nous restons cools, soulagés surtout d’avoir mis une bonne distance entre nous et les balles perdues… jusqu’au premier virage, barré par une grande affiche rouge : ATTENTION, CHASSE EN COURS. SOYONS VIGILANTS. Les bras nous en tombent. Même ici ! Et c’est quoi, être vigilant ? S’habiller fluo comme les chasseurs ? Porter un gilet pare-balles ? Activer régulièrement une corne de brume ? Rester enfermé à la maison en attendant que ça passe ?

   Avant d’en arriver à cette dernière extrémité, complètement écœurés quand même, nous décidons de faire une dernière tentative, et partons pour faire le tour du Golf de Bigorre. Pas beaucoup de forêt, mais durant toute la boucle, la vue sera belle sur les versants d’en face où les sangliers n’ont qu’à bien se tenir. Aucun pick-up en vue ici, plutôt des SUV Audi ou BMW. Que des gentlemen désarmés. Ambiance feutrée, mais peut-être faussement paisible, finalement : l’avertissement, sur un panneau impossible à rater à l’entrée du sentier, nous fait rire jaune. PROMENEURS, ATTENTION AUX BALLES !

 

   Finalement, la prolifération des battues pose autant de problèmes que la prolifération des sangliers. Cette activité semble malheureusement nécessaire, dans ce monde où l’homme redessine à sa guise les équilibres naturels en les transformant en déséquilibres. Mais au moins, encadrons-la strictement. Donner à un million de chasseurs la possibilité d’organiser des battues les mercredis, samedis et dimanches expose presque un jour sur deux à un danger absolu soixante millions d’habitants (personne n’est à l’abri, on l’a vu encore une fois fin octobre, lorsqu’un automobiliste a été tué sur une quatre-voies par un chasseur posté 500 mètres plus loin). Un jour de battue par semaine, en excluant bien sûr le dimanche, suffirait amplement.


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