En entendant Bégaudeau

 


 

   François Bégaudeau est écrivain, scénariste, réalisateur. L’entendre à Bagnères était un privilège (merci au Cartel Bigourdan et au Syndicat mixte de collecte des déchets). On sait bien d’où il parle, il ne cache pas ses engagements, se dit viscéralement « anti-capital » dans la plupart de ses prises de position. Il était venu nous causer de « sensibilité » politique et écologique.

 

   Un discours structuré, intelligent. Bégaudeau illustre d’abord avec humour le fait que les conditionnements de notre milieu influent sur la sensibilité politique que nous développons durant notre vie. Il montre ensuite pourquoi et comment l’apparition d’une sensibilité écologique largement partagée est l’un des faits nouveaux de ces vingt dernières années. Mais il en déplore les limites, puisque cette sensibilité ne se traduit par rien de concret, ni en termes de priorités politiques véritables ni en termes de protestation citoyenne. Pourtant, d’après lui, la classe dirigeante est objectivement aussi affectée que le reste de la population par certains effets de la pollution de la planète (celle de l’air par exemple). Cependant, elle n’agit pas, se contente de créer des concepts vides type  développement durable, transition énergétique ou croissance verte, comme si la croissance en elle-même – condition sine qua non de la viabilité du système capitaliste – n’était pas le problème fondamental. D’ailleurs, même le tourisme spatial ne semble pas choquer grand monde, c’est dire les limites de notre sensibilité écologique.

   Pour expliquer ce phénomène, Bégaudeau différencie sensibilité et conscience. Il pointe le fait que même si nous développons une certaine sensibilité écologique, nous n’avons pas véritablement conscience de la dégradation de notre environnement, car nos sens ont du mal à la percevoir concrètement. D’où peut-être notre attentisme, notre inaction.

   Il était réconfortant d’entendre François Bégaudeau, en conclusion, citer André Gorz, l’un des penseurs majeurs de l’écologie politique et de la décroissance au XXe siècle (et théoricien, par ailleurs, de la notion de revenu universel), dont les analyses et les propositions malheureusement trop peu connues restent complètement d’actualité. Nous aurions aimé pouvoir l’interroger sur les théories du spécialiste de neurosciences Sébastien Bohler exposées dans Le bug humain (Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l'en empêcher). Selon lui, ce sont des mécanismes cérébraux archaïques (localisés dans le striatum) qui nous poussent en permanence vers la satisfaction immédiate et nous incitent à en vouloir toujours plus. Comme si la peur de manquer était inscrite au plus profond de nous, et empêchait toute tempérance raisonnée. Une analyse séduisante en ce qu’elle dit beaucoup de ce que nous sommes, mais qui pourrait être désespérante car laissant peu de place à l’espoir d’une prise de conscience rationnelle de l’ampleur des problèmes à résoudre. Il n’y a pas dans notre cerveau une touche reset permettant une déprogrammation simple… Cependant Bohler évoque une piste intéressante, parmi d’autres : valoriser puissamment les comportements novateurs que nécessite l’urgence écologique pour en faire des sujets de satisfaction immédiate pour notre striatum…

   Mais la durée de la conférence de François Bégaudeau était très limitée, ce qui a laissé un peu de frustration. Tant d’autres questions restaient en suspens…

-        Vivre en généralisant les circuits courts, comme il le préconise, c’est bien. Mais ne faut-il pas aller plus loin, vers une véritable décroissance ?

-     Qu’est-ce qui nous fera passer de la sensibilité écologique à la conscience de la réalité des phénomènes, condition sine qua non pour accepter le principe même de décroissance ? un désastre pire que les autres ? une guerre mondiale ?

-          Sera-t-il alors encore temps d’agir, puisque les effets seront peut-être devenus irréversibles ?

 

   Même si elle en a la volonté, la génération à venir ne pourra régler l’addition de notre folie consumériste, il sera bien trop tard. C’est à nous qu’il revient donc de mettre fin à cette course au désastre. Nous n’en prenons pas le chemin.

 

Jean-Marc Aragnouet

 

 

 

   Le précédent ouvrage de F. Bégaudeau "Histoire de ta bêtise" débinait le bourgeois, toujours prêt à protéger ses acquis et son patrimoine. "Notre joie", paru ces jours-ci, évalue la distance qui sépare les extrêmes politiques. "Entre les murs" (2008), son roman mis à l'écran par Laurent Cantet, nous plongeait dans un lycée difficile de banlieue. Sa conférence à l'Alamzic pointait du doigt, avec humour, notre torpeur face à la catastrophe climatique inéluctable.

   Voilà pour la courte bio et la promo. Le garçon est brillant et agréable, sa pensée est fluide. Après son tour de France... il va rentrer chez lui. Nous allons tous rentrer chez nous, mettre nos 4x4, SUV ou camping-cars, nos vélos cargos, électriques ou musculaires, à l'abri, nos gosses à l'école... Samedi, tous au marché, les autres au supermarché. Nous serons rattrapés par notre apathie (gagnés parfois par l'éco-anxiété). Les phénomènes et crispations vont s'amplifier : politiques, climatiques, religieux, sociaux... scandés par des manifestations stériles ou des élections piégées. Greta va s'indigner et six jeunes Allemands commencer une grève de la faim... Bref, rien de radical...

   Il est peu probable que nos postures avantageuses, nos actions isolées et autres "cris sélectifs", nos livres intelligents et leurs auteurs sensibles, nos blogs impertinents... à moins d'un sursaut planétaire, nous préservent du pire. Bonne fin d'été à tous !

 

Érick Vuillier

 

 

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