Auprès de mon arbre

 


 

   Au milieu des vagues de mauvaises nouvelles concernant l’environnement qui nous submergent de toute part, à noter une exception, à la fin de ce mois d’août. La préfecture des Hautes-Pyrénées annonce que le groupe Florian abandonne son projet de méga-scierie. Tout n’est pas rose cependant puisqu’il semble que Bernard Plano, maire de Lannemezan visiblement bien peu concerné par les enjeux environnementaux, s’accroche à son projet de grande centrale biomasse, qui devrait brûler rien moins que 67 000 tonnes de granulés par an, soit 150 000 m³ de bois…

   Quand-même, le soulagement est immense à l’idée que les 500 000 m3 annuels de bois qui devaient être extraits par Florian resteront sur pied dans nos forêts pyrénéennes. Et si l’on veut mesurer ce à quoi nous venons d’échapper, il suffit d’aller se promener dans notre vallée dans quelques lieux récemment exploités par l’industrie forestière.

   Quel sentiment de perte pour les amoureux de Payolle qui sont allés marcher cet été dans le superbe vallon de Peyre Hicade : le sentier qui longe l’Artigou est défoncé par le débardage, et la forêt  du dessus, dévastée par les coupes, est devenue partiellement inaccessible à cause des branchages jonchant le sol… Sale temps pour les Robin des bois et autres chercheurs de champignons !

   Autre lieu, même constat. Prendre la route forestière démarrant chemin d’Angoue et menant au départ de Peyrelade fait prendre conscience de l’ampleur des prélèvements, et des dégâts collatéraux occasionnés. Une misère. La hêtraie-sapinière, déjà affaiblie par le réchauffement et la sécheresse, n’a vraiment pas besoin de ça.

   Le projet Florian aurait provoqué une dévastation du même type, mais à une toute autre échelle, et tout le long de la chaîne. Saluons donc son abandon, tout en regrettant qu’il ait fallu pour cela un combat citoyen alors que nos décideurs politiques auraient dû, par sagesse, ne pas donner leur aval. La conscience écologique de beaucoup d’élus semble proche de zéro, ce qui est bien inquiétant à l’heure actuelle.

   Comment en effet, au moment où le réchauffement s’accélère dramatiquement et où la biodiversité s’effondre, peut-on encore projeter d’accroître exponentiellement nos prélèvements de bois ? On sait que les forêts, comme les océans, constituent des puits de carbone essentiels pour la planète. En captant une partie des gaz à effet de serre, ils permettent de freiner les changements climatiques. Pourquoi déplorer la destruction de la forêt amazonienne, dont un quart vient de disparaître ces dernières années, si l’on tolère en même temps une accélération de la déforestation dans les Pyrénées ?

   Les défenseurs de l’exploitation forestière pointeront bien sûr le manque à gagner pour l’économie locale. A cela, il est facile de répondre que ce qui est gagné d’un côté est perdu de l’autre : le bois rapporte un peu d’argent à certains acteurs locaux, mais le tourisme est une activité essentielle pour beaucoup d’autres. Pas sûr que les forêts de Payolle, de Niclade ou d’ailleurs, rendues inaccessibles par le débardage, restent attractives sur le plan touristique. L’argument des Pyrénées, frontière sauvage, risque de devenir de plus en plus fallacieux.

   Mais une réponse plus constructive peut être apportée. Il est intéressant pour cela de se référer au rapport intitulé « Payer les forestiers pour services rendus », élaboré dans le cadre du projet Forêts vivantes, à l’initiative de l’Office français de la biodiversité et du WWF (Word Wide Fund for Nature). On apprend à sa lecture que 550 projets dans le monde, s’appuyant sur le rôle des forêts pour lutter contre le réchauffement et conserver la biodiversité, sont déjà financés. Il s’agit de dédommager les efforts des forestiers pour services rendus à la société en les incitant à améliorer la gestion des forêts et en renonçant, partiellement au moins, à l’exploitation pure et simple du bois. Les actions privilégiées sont celles permettant de stocker plus de carbone, de protéger la biodiversité, d’aller vers plus de diversité des essences d’arbres, des âges et des structures pour induire plus de résilience par rapport au réchauffement.

   Le dédommagement des forestiers se fait sous forme de PSE (Paiement de Service Ecosystémique). Un PSE est une transaction volontaire en faveur d’un service écosystémique payé au fournisseur du service s’il garantit la conservation. Le forestier renonce alors à une partie de l’acte de gestion (l’exploitation du bois par exemple), et ce coût est pris en charge par la société.

Les projets de PSE incluent cinq services :

-          la conservation de la biodiversité

-          la séquestration et le stockage du carbone

-    la préservation des ressources en eau (plus importante que jamais, comme l’été passé nous l’a démontré !)

-          la conservation des sols

-          la mise en place de services récréatifs

   Une ONG développe des projets de PSE depuis 2018. Il s’agit du FSC (Forest Stewarship Council), qui se donne pour objectif de promouvoir une gestion écologique, sociale et économique des forêts, et donne des outils pour cela. L’argent distribué est de l’argent privé, il vient de grandes sociétés ou de sponsors.

   En France, c’est avec le WWF qu’un projet de ce type devrait être adopté fin 2022, près de chez nous. Ce plan concerté de gestion forestière pour les vingt ans à venir concerne la forêt d’Oloron-Sainte-Marie, avec pour enjeux essentiels de préserver la biodiversité, de pérenniser le tissu social et de dynamiser la sylviculture.  Oloron Sainte-Marie serait ainsi la première commune de France à bénéficier d’un PSE, pour compenser les exploitations qui n’auront pas lieu en raison des mesures supplémentaires de protection. Ce soutien financier sera valable pour toute la durée du plan de gestion (pour plus d’information : https://www.oloron-ste-marie.fr/2022/07/06/foret-vers-ladoption-dun-plan-de-gestion-concerte-pour-les-20-ans-a-venir/).

 

   Chapeau aux Béarnais, qui nous donnent là une bonne leçon d’écologie appliquée ! Alors pourquoi ne pas envisager, dans notre Haute-Bigorre, de monter nous aussi un dossier ? Cette action concrète et novatrice, améliorant la résilience de nos forêts, préservant ces espaces essentiels pour la biodiversité et le climat, serait  un signe d’intelligence collective face à un avenir incertain. Allez Georges, une petite dernière pour la route ! Auprès de mon arbre, je vivais heureux…

 


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