Post en stéréo

 



Voie gauche 

   J’ai lu avec intérêt Sortir de notre impuissance politique, le livre de  Geoffroy de Lagasnerie, jeune sociologue et philosophe (qu’il présente sur youtube : https://www.youtube.com/watch?v=eY8ykrQnR6U&ab_channel=RTFrance).

   Partant du fait que la gauche perd la plupart de ses combats depuis des décennies, il interroge avec pertinence ses stratégies, ses modes de pensée et ses manières de lutter.

   Difficile de récuser son constat, tant il me paraît aussi qu’il y a bien longtemps que le fond de l’air n’est plus rouge, que les idées néolibérales sont devenues une sorte de doxa, de pensée unique, et que la gauche se cantonne à des combats défensifs.

   Il montre que nos modes d'action ritualisés – pétitions, tribunes, grèves, manifestations suivies éventuellement d’affrontement avec la police – s'inscrivent dans une logique de la défaite, de l’inefficacité. De plus, ces outils servent essentiellement à lutter contre ce que nous nommons des régressions, nous amenant ainsi à vouloir préserver des systèmes dont nous dénoncions précédemment les défauts (cf. conflit sur les retraites).

   Lagasnerie prône l’action directe, à savoir l'ensemble des tactiques qui produisent des effets concrets et mettent l'État sur la défensive. « Nous devons devenir des sujets politiques qui posent leur légalité, qui, en quelque sorte, instituent le monde qu'ils veulent voir en place» écrit-il.

   Sur le long terme, il suggère une stratégie d’infiltration des institutions (police, justice etc.), et des lieux permettant la transformation des structures mentales (université, grandes écoles), ainsi qu’une présence active et permanente dans les quartiers populaires.

   Le raisonnement de Lagasnerie me paraît à la fois novateur et daté. Il apporte une réflexion intéressante sur les causes de l’impuissance actuelle de la gauche. Mais les modes d’action qu’il suggère ne sont pas tous convaincants, car ils font abstraction de la notion nouvelle d’urgence écologique et font l’impasse sur les modes de fonctionnement démocratique alternatifs.

   Infiltrer les appareils de pouvoir (tel que les ultralibéraux l’ont fait à partir des années 60) et changer l’état d’esprit d’une génération éduquée est supposé prendre 20 ou 30 ans. Mais que sera alors devenu le monde dans lequel vivra cette génération, au rythme où l’environnement se dégrade ?

   L’action directe, par contre, c’est tout de suite et cela peut fonctionner, mais jusqu’à un certain point, nous l’avons constaté avec les Gilets jaunes. Le gouvernement, à un moment, a cru au risque d’insurrection, et a commencé à s’ouvrir au dialogue. En ont découlé quelques petites mesures censées apaiser la colère, mais aussi l’acceptation de la mise en place d’une Convention citoyenne sur le climat. Le mouvement est ensuite tombé dans le piège de la focalisation sur la terrible répression policière, faisant passer au second plan ses revendications premières.

   Mais l’expérience de la Convention a fonctionné, au point qu’elle est maintenant citée en exemple à l’étranger. Cent cinquante personnes, Françai.se.s moyen.ne.s sans compétences remarquables, ont travaillé plusieurs mois en auditionnant des expert.e.s, et ont formulé en juin cent quarante-neuf propositions fortes. Si celles-ci étaient mises en œuvre, notre pays pourrait s’enorgueillir d’être à la pointe de la lutte contre le réchauffement climatique.

   L’acceptabilité de ces propositions est bien supérieure à ce qu’elle aurait été si elles avaient été émises par une femme ou un homme politique, car elles émanent du peuple, ou tout au moins de ses représentant.e.s tirés au sort et éclairé.e.s par des spécialistes des questions étudiées.

   Il est probable, hélas, que le pouvoir, maintenant que la pression est retombée, ne fera pas valider l’ensemble des mesures par référendum, et que la montagne accouchera d’une souris.

Mais il reste que le processus démocratique était innovant. Cela devrait donner matière à réflexion à la gauche. D’évidence il est possible de donner le pouvoir au peuple sans tomber dans le populisme démagogique, si l’on fixe un cadre évitant les dérives et permettant un vrai travail de réflexion.

   Ce qui s’est passé au niveau national pourrait être mis en place au niveau local – bien plus facilement, d’ailleurs, à cette échelle. La participation de personnes tirées au sort ou volontaires, travaillant sur des sujets-clés avec des expert.e.s et des élu.e.s dans des groupes de travail pour faire des propositions pouvant être validées – ou non – par l’ensemble de la population, c’est facile à organiser et cela redonnerait ses lettres de noblesse à la démocratie. Les citoyen.ne.s pourraient s’approprier la « chose » politique, dans un cadre structuré permettant une prise de décision efficace allant dans le sens de l’intérêt général. Les élu.e.s, après leur participation à la réflexion collective, formeraient le pouvoir exécutif, et mettraient en œuvre les choix de leurs concitoyen.ne.s.

   Il suffit juste de vouloir. D’ailleurs, certaines communes l’expérimentent déjà. Le temps est venu de l’implication de tous celles et ceux qui le désirent dans la gestion de la cité.

JMA

Voie droite
   1- Je n'ai pas lu le  manuel de Geoffroy de Lagasnerie, me contentant d'écouter son entretien dans l'émission "Interdit d'interdire" de Frédéric Taddeï.

Si j'ai trouvé pertinent son constat d'impuissance de la gauche à accéder aux affaires, obstinée à utiliser des moyens de lutte dépassés : manifestations, émeutes, pétitions, grèves, occupations, démissions.... campée dans une position défensive, doloriste, passéiste et incapable de produire de réelles forces progressistes, j'ai été amusé qu'un stratège idéologue n'ait pas envisagé que sa sa tactique d'infiltration des institutions ou des cerveaux : justice, universités, ENA, police, conseil constitutionnel, lycées... pour  une conquête de l'appareil d'Etat  par l'action directe ou l' activisme juridique - puisse être utilisée par d'autres forces et idées que les siennes. Mais au final, sa logorrhée verbale au service de la "justice et de la pureté" (sic) de la jeunesse et l'intelligence, son sentiment d'incarner la Vérité dans un monde dualiste, cette dureté intellectuelle, dont on sait ce qu'ils ont donné dans l'histoire, m'ont fait carrément froid dans le dos. Sorry...

   2- Emettre des doutes sur la démocratie participative, le municipalisme… C’est endosser illico le costume de «réac". Tant pis ! 

Le représentatif présente des signes indéniables d’essoufflement et cette représentation n'est qu’une illusion,  amplifiée par la faible participation aux élections.

Combien d’ouvriers, d’employés, d’artisans, de petits agriculteurs, de moins de 40 ans, de femmes, de chômeurs, de retraités, de noirs, de gris, de jaunes... à l’Assemblée nationale ? Majorité de mâles blancs de plus de 50 ans, issue des classes intellectuelles supérieures. Quelle légitimité pour une équipe municipale élue par 22% de l’électorat ? Deux questions pour le même constat. Un autre constat aussi attristant est que l’être humain a une propension à dénaturer toute idée, fut-elle généreuse.  Mettez un " isme" derrière un système, une croyance, une idée, un nom propre et il devient monstrueux dans le temps, engendrant ses propres démons. Alors, si introduire une dose de participatif et d’implication citoyenne est d'une évidente nécessité, je redoute que notre individualisme grandissant, notre paresse et procrastination congénitales, le morcellement de la société, notre non-consentement à la décision quand elle ne nous arrange pas, nos profils antagonistes de citoyens et de consommateurs impossibles à superposer, la réalité du pouvoir, ne corrompent un municipalisme en gestation. Selon moi la convention citoyenne pour le climat, contre-feu à la crise des gilets jaunes, n’a accouché que d’un mulot. Quelques voeux pieux assortis d’une mise oeuvre tardive d’un pouvoir déjà sur le départ (plus d’isolation et de justice sociale, moins de voiture, 40% d’émissions de CO2 en moins d’ici 2030…) mais aucune décision radicale à la mesure des enjeux. J’aimerais tant que ce principe de citoyens décisionnaires éclairés par des experts fonctionne mais je pressens que les dominants en place ne voudront pas se défaire d’une once de leur pouvoir, et que les décisions vont désormais se prendre au gré des crises à venir : climatiques, sanitaires, sociales, migratoires... de manière de plus en plus autocratique. 

Voilà. Ne vous fiez pas à ce pessimisme (qui je l’espère n’est pas prophétique) et ne condamne pas à l’inaction.

D’autres formes de pression et d'expression existent. Tiens ! je vais aller faire un petit dessin...

EV

 

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